
Jochen Mass 1946-2025
Les débuts et les premiers titres
Une semaine après la célébration de l’histoire de la Formule 1 au circuit Paul Ricard, nous apprenions le décès du pilote allemand Hans Joachim Richard Mass, plus connu sous le nom de Jochen Mass. Ce dernier s’est éteint à l’âge de 78 ans dans le sud de la France des suites d’un AVC. Ce bavarois de naissance faisait ses premiers tours de roue en course de côte dans les années 60 avant de basculer avec succès en circuit dans le très relevé Deutsche Automobil Rundstrecken Meisterschaft. Jochen s’alignait en 1969 sur quelques manches avec des Alfa Romeo 1300 GTA Junior et 1600 GTA préparées par le Hähn Racing Team. En 1970, Mass changeait de cylindrée et fondait beaucoup d’espoir sur une Ford Capri 2300 GT ; malheureusement l’écurie ne tenait pas ses promesses, poussant le talentueux pilote à finir la saison avec un B.M.W. 2002 du Team Schnitzer. Les effets sont alors immédiats, avec une victoire lors de l’épreuve d’Ulm-Laupheim. A la course suivante à Hockenheim, Mass récidivait, mais cette fois au volant d’une plus modeste Ford Escort TC préparée par Zakspeed. Ces très bons résultats en si peu d’apparitions vont conduire Ford Köln à proposer une saison complète à Mass avec une Ford Capri RS 2600. Sur les 8 courses du championnat 1971, Mass en remportait 7 mais devait s’incliner lors de la toute dernière épreuve à Hockenheim ouverte à des concurrents étrangers avec des voitures bien plus puissantes.
L’Australien Frank Gardner s’imposait en toute logique au volant d’une Ford Mustang Boss, devant la Chevrolet Corvette du Suisse Joe Kretschi. Mass arrachait cependant la 3ᵉ place. Durant toute la saison, Mass aura imposé sa loi aux pourtant redoutables Opel Commodore GS 2800, BMW 2800 CS ou l’inoubliable Mercedes 300 SEL 6.3. Ce titre allait le conduire naturellement à s’aligner au championnat d’Europe en 1972, toujours au volant d’une Ford Capri RS 2600. Il allait rencontrer le même succès, notamment lors des épreuves longues où il était associé à plusieurs pilotes de renom de l’époque. Avec Gérard Larrousse, il remportait les 4 Heures de Monza. Puis avec Dieter Glemser et Alex Soler-Roig, il s’adjugait les 4 Heures de Zandvoort quelques jours avoir survolé les 24 Heures de Spa-Francorchamps en compagnie d’Hans-Joachim Stuck. Aux 4 Heures de Silverstone, il partageait la victoire avec Dieter Glemser, le champion d’Europe en titre. La saison se concluait par une ultime victoire à Jarama avec Gérard Larrousse, Alex Soler-Roig. Entre 1971 et 1972, Mass s’était également aligné au South African Springbok Championship Series avec une Chevron B23 lui permettant de glaner deux titres de vice-champion.
De la F2 à la F1
En 1973, il accédait à la Formule 2 avec une Surtees TS15. Ce championnat particulièrement relevé était une véritable antichambre de la Formule 1. Dès la deuxième épreuve à Hockenheim (Jim Clark Memorial Trophy), il réalisait la pole. La première victoire survenait en Suède sur le circuit de Kinnekulle Ring devant l’Alpine A367 de Patrick Depailler. S’ensuivait une autre victoire à Hockenheim pour le Jochen Rindt Trophy. Avec quatre podiums (3 fois 2ᵉ et 1 fois 3ᵉ), Mass finissait vice-champion derrière Jean-Pierre Jarier et sa March 732 BMW M12/6, mais surtout devant Patrick Depailler et Vittorio Brambilla sur March 712M et 732. Ces excellents résultats lui permettaient en cours de saison d’accéder à la Formule 1 pour trois épreuves.
Mass s’alignait pour la première fois au Grand Prix de Grande-Bretagne au volant d’une modeste Surtees TS14 Cosworth DFV V8, en faisant jeu égal en qualification avec les Surtees TS14A plus affûtées de Mike Hailwood et Carlos Pace. Malheureusement, son premier départ se soldait par un carambolage monstre qui entrainait l’abandon de 10 monoplaces, dont celle de Jochen. On le retrouvait au Grand Prix d’Allemagne, alors disputé sur le terrible Nürburgring. Mass réalisait ce jour-là un exploit en terminant à la porte des points (7ᵉ) après s’être élancé de la 15ᵉ position. Pour son ultime apparition de la saison, Mass participait au Grand Prix des États-Unis à Watkins Glen, endeuillé dès les essais par l’accident de François Cevert. Après avoir pris le départ en 17ᵉ position, Mass devait renoncer après 35 tours suite à une panne moteur. En 1974, Mass commençait la saison avec une Surtees T16 peu fiable. Après 8 abandons et deux autres finis en fond du classement, Mass accédait à une McLaren M23 pour les deux dernières épreuves de la saison au Canada (16ᵉ) et à Watkins Glen (7ᵉ). Le pilote allemand allait lier son destin avec McLaren durant les saisons 75, 76 et 77.
Dès 75, alors équipier du champion du monde en titre Emerson Fittipaldi, il réalisait l’exploit de récolter 4 podiums dont une victoire sur le dangereux circuit de Montjuïc en Espagne. Après le terrible accident de Stommelen entraînant la mort de cinq spectateurs, Mass prenait la tête après avoir effacé la Lotus de Jacky Ickx. Afin de faciliter l’intervention des secours, les organisateurs abaisseront finalement le drapeau au 29ᵉ tour. Une victoire, la seule de sa carrière, au goût bien amer pour le pilote allemand. En 1976, Mass se retrouvait alors l’équipier du futur champion du monde James Hunt. Malgré deux podiums et de nombreux bons résultats, il ne finissait pas mieux que 8ᵉ au championnat. En 1977, la M23 n’était plus dans le coup, et l’arrivée de la M26 en cours de saison ne redonnait qu’un maigre espoir. Cependant, Mass se montrait performant, quand sa McLaren voulait bien se montrer fiable. Il alignait les classements dans les points et finissait même par un nouveau podium au Canada (3ᵉ). Après avoir été évincé par Teddy Mayer en fin de saison, Mass se laissait séduire en 1978 par le projet ATS fondé par Günther Schmidt. Avec l’ATS HS1 motorisée par un V8 Cosworth, Mass connait une saison vierge de tout point, et doit même se retirer avant la fin de saison suite à un accident lors d’essais. Cela va le conduire à passer chez une autre écurie naissante : Arrows. Il fait alors équipe avec le jeune Ricardo Patrese sur l’A1 puis l’A2 équipées du Ford Cosworth DFV 3.0.
Mass ramenait régulièrement la voiture à l’arrivée et parvenait à récolter trois 6ᵉ places, dont une dans les rues de la principauté monégasque. L’année suivante, l’A3 n’apportait pas vraiment de progrès, mais permettait une nouvelle fois à Mass de terminer des courses à d’honorables places (6ᵉ en Afrique du Sud et 4ᵉ place à Monaco). Malheureusement, la saison était entachée par un accident sur le rapide Österreichring lors du Grand Prix d’Autriche. En voulant éviter Alain Prost en perdition lors d’essais libres, Mass sortait de la route et tapait le rail de sécurité. Coincé dans sa monoplace, Mass était extrait par Scheckter, Prost, Arnoux et Lammers, puis évacué vers l’hôpital avec de graves contusions au cou. Forfait pour les deux épreuves suivantes, Mass reprenait le volant pour les Grands Prix du Canada et des États-Unis. Sans volant pour 1981, Mass se tournait vers plusieurs épreuves en circuit, notamment en endurance avec des Porsche 936 et 935, avec des victoires à Most, au Nürburgring et à Kyalami. La saison 1982 donnait à Mass l’occasion de revenir en F1 avec March et une 821 équipée du V8 Ford Cosworth DFV 3.0. Le pilote, toujours aussi appliqué, parvenait à ramener régulièrement sa monoplace à l’arrivée, mais les modestes performances de cette dernière ne lui permettaient pas d’accéder aux points. Cette saison qui restera la plus tragique n’a pas épargné Jochen, qui se retrouvait impliqué dans deux graves accidents, dont celui de Gilles Villeneuve.
Le Canadien dans un tour lancé venait tragiquement décoller sur la March de Mass qui venait de faire un écart pour le laisser passer. Cette erreur d’appréciation allait entrainer la mort du pilote Ferrari et laisser un sentiment de culpabilité à Mass. Plus tard dans la saison, lors du Grand Prix de France au Castellet, Mass ne voit pas Mauro Baldi le dépasser au bout de la ligne droite du Mistral. Les deux monoplaces s’accrochaient et partaient violemment dans les barrières de la courbe de Signes. Celle de Mass finissait même dans le public à l’envers et en proie aux flammes. Mass fut extrait avec de nombreuses brûlures. C’était le moment pour Mass de se retirer définitivement de la Formule 1.
La moisson de victoires en endurance
La même année, Mass avait fait équipe avec l’Australien Vern Schuppan aux 24 h. du Mans sur une Porsche 935/76 avec une seconde place à la clef. Fort de ses nombreux succès en endurance depuis 1975, Mass décidait alors de poursuivre sa carrière exclusivement dans cette discipline.
La moisson de victoires avait commencé en 1975 avec une Alfa Romeo T33/TT/12 lors des 1000 km de Pergusa, associé à Arturo Merzario. S’ensuivaient trois saisons (76 à 78) incroyables avec pas moins de 11 victoires avec des Porsche 935 et 936, associé à Jacky Ickx, permettant ainsi au constructeur de Stuggart de rafler 3 fois le titre de champion du monde des marques. Après quelques rares apparitions en 1979 et 1980, Mass profitait de sa saison blanche en F1 en 81 pour participer à plusieurs courses, récompensé par une deuxième place au 1000 km du Nürburgring associé à Reinhold Joest sur une Porsche 908/80. Entre 1982 et 1984, c’est l’avènement de l’inbatable Porsche 956 ; avec elle, Mass étoffait son palmarès avec 6 nouvelles victoires et 10 podiums en 19 apparitions, associé au Belge Ickx. Les deux hommes poursuivaient leur association en 1985 avec la 962 avec trois victoires (Mugello, Silverstone et Selangor). En 1986, Mass ne récoltait qu’une 6ᵉ place en 5 participations avec le Français Bob Wollek. Pour l’ultime saison avec une Porsche en 1987, Mass est associé à l’Argentin Oscar Larrauri (champion F3 en 1982 et futur pilote de F1 en 1988 avec Eurobrun) au sein du team Porsche Brun Motorsport. Les deux pilotes parvinrent à monter trois fois sur le podium. Depuis quelques temps, Porsche voyait sa souveraineté menacée par une écurie suisse : Sauber. En 1988, Mass décidait de rejoindre cette équipe qui travaillait depuis des années avec le motoriste Mercedes.
Va s’ensuivre quatre années de collaboration très fructueuse au volant de la C9 puis de la C11. En 1988, associé à Jean-Louis Schlesser et Mauro Baldi, la C9 allait monter 7 fois sur le podium, dont 4 fois sur la plus haute marche en 9 apparitions. En 1989, Mass repartait en campagne avec Schlesser avec 6 podiums dont 4 victoires. Mais cette saison allait surtout être marquée par la victoire aux 24 h. du Mans avec Manuel Reuter et Stanley Dicken. En 1990, Mass est associé au jeune espoir autrichien Karl Wendlinger. Les deux pilotes entamaient la saison à Suzuka avec une 2ᵉ place au volant de la C9, tandis que Baldi et Schlesser entraînaient la nouvelle C11 (abandon). Dès Monza, Mass et Wendlinger pouvaient bénéficier de la C11. Avec elle, ils s‘imposaient à Spa puis au Mexique. A la fin de saison, Mass échouait pour 1 point et demi au championnat. En 1991, Mass retrouvait Schlesser. Le début de saison était positif avec une seconde place à Suzuka, puis une troisième à Monza. Sauber introduisait cette même année la C291 mue non plus par un V8 bi-turbo comme les C9 et C11, mais par un flat 12 atmosphérique.
Après avoir laissé Michael Schumacher et Karl Wendlinger essuyer les plâtres de la C291, Sauber permettait enfin à Mass et Schlesser de piloter cette nouvelle voiture lors de la 5ᵉ manche du championnat. La fin de saison était ponctuée par 3 abandons et une modeste 5ᵉ place au Japon. Les nouvelles reines de la discipline étaient alors les Jaguar XJR 12 et XJR 14 et la Peugeot 905. En parallèle de cette période en endurance, Mass avait fait son retour en D.R.M. (Deutsche Rennsport-Meisterschaft) avec une Porsche 956B qui lui permettait de devenir vice-champion en 1984 derrière Stefan Bellof et champion en 1985 devant Hans-Joachim Stuck avec 7 victoires et 6 deuxièmes places toujours sur une Porsche 956B. Avant de se retirer définitivement du sport automobile pour devenir ambassadeur de la marque Mercedes, Jochen Mass faisait une dernière apparition aux 24 h. du Mans en 1995 sur une McLaren F1 GTR avec John Nielsen et Dr Thomas Bscher. Malheureusement, le trio devait se retirer au 131ᵉ tour. Mass avait été le mentor de nombreux jeunes pilotes au cours de ses trois dernières années chez Sauber pour le programme de détection du constructeur Mercedes. Il aura notamment grandement contribué à aider un certain Michael Schumacher.
Texte : Jean-François DUBY - Auto Full News
photos : DR